le deuil de la beauté - Galerie Simoncini

le deuil de la beauté

le deuil de la beauté

Poèmes de Gao Xingjian traduit du chinois par Noël Dutrait avec 3 encres de chine de Gao Xingjian

le deuil de la beauté (the mourning of beauty)

Poems by Gao Xingjian translated from Chinese by Noël Dutrait with 3 Chinese inks by Gao Xingjian

Dans le hall rouge, sur la volée d’escaliers
Une femme nue masquée se pavane, tenant ses seins
La vie est un banquet somptueux
Comment ne pas chanter à gorge déployée ?

Sur les places et dans les rues
Errent la Mort et ses deux acolytes
Le plus grand dresse son bec d’oiseau
Le second porte un masque doré
Le troisième est un squelette
Menton vide, édenté.

La Mort grimace
La vanité de la vie
Elle s’en moque
Mais tout est silencieux
Seuls résonnent dans les ruelles les bruits de l’eau
Dont les reflets battent le quai

La Mort serre dans ses bras la femme nue
Dont le corps se reflète dans les eaux noires
Le poète chante à pleine voix
C’est de lui qu’il se moque

***

Regarde, dès qu’on porte un masque
La vie est comme un jeu
Et dans la vie comme dans le jeu
Le vrai se transforme en faux
Ils se mélangent
Plus rien ne les distingue
Le vieil acteur ôte son masque
Il éclate de rire
Se moquant de ce monde absurde
La vie vient du hasard.
La beauté est encore plus incertaine
Le hasard dans le hasard
Et en un clin d’œil
Ce regard est perçu
Par un autre œil de sagesse Découvert capté fixé ajusté C’est de là que vient l’image Qui a la chance de la voir
L’aura gravée au fond du cœur Voilà la chance du poète

***

Dis-nous!
Dis-nous !
Dis-nous!
Comment obtenir le pardon?
Comment obtenir le salut?
Comment revoir l’éclat de la beauté ?
La belle image émouvante de Venus?

Devantures et vitrines étincèlent
De longs tunnels se succèdent

Des hommes entourent
Une femme nue mourante
Ils la portent sur leurs épaules.
Ils courent en haletant
On ne sait s’ils la secourent ou s’ils l’enlèvent
Les femmes pleurent en se cachant le visage

Toujours les mêmes panneaux le long de l’autoroute
A la fenêtre de la voiture défilent en un éclair immeubles et publicités

Vénus est sur le point de mourir.
Allongée aux pieds de la foule qui l’entoure
Dans les murmures qui s’élèvent
Une eau noire coule sous ses jambes
Les hommes baissent la tête, les femmes se cachent le visage Ils ne supportent plus de la voir et s’en vont les uns après les autres

Elle est morte ?
Elle est morte ?
Elle est morte ?

Pas de réponse
Pas de bruit
Pas de mouvement
Pas de respiration
Des bruits s’élèvent
Elle est morte, elle est morte, elle est morte…
C’est ainsi
Etranglée
Etouffée
Piétinée
Sacrifice
Anéantic
Achevée

***

A cet instant, Dieu est devenu un mendiant
Qui arrive en haillons, claudiquant,
La main tendue vers la foule
Sans rien arriver à obtenir

Dans les cieux Dieu est furieux
Des catastrophes s’abattent sur le monde
Voilà le jugement dernier
Ce monde est livré au chaos
Le Créateur le contemple d’un regard froid
Sans la moindre intention de le sauver